Αρ.Αίτησης: 18556/08, Ευρωπαϊκό Δικαστήριο για τα Δικαιώματα του Ανθρώπου: Καταδίκη της Ελλάδας για τις διαρκείς αναβολές δίκης
(Το κείμενο της απόφασης είναι στη γαλλική γλώσσα)
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE TSAGANOU ET GEORGIOU c. GRÈCE
(Requête no 18556/08)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mai 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tsaganou et Georgiou c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 avril 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 18556/08) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Vassiliki Tsaganou et M. Athanassios Georgiou (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 avril 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me S. Hoursoglou, avocat au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le 4 mars 2009, la présidente de la première section a décidé de communiquer les griefs tirés de la durée de la procédure et de l'absence de recours à cet égard au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1946 et 1974 et résident à Athènes.
5. Le 19 avril 2000, K.T., père et grand-père de la première et du second requérants respectivement, saisit le tribunal de grande instance d'Athènes d'une action contre les requérants, tendant à l'annulation pour cause d'erreur matérielle et de fraude d'un contrat de donation d'un bien immobilier à ceux-ci.
6. L'audience de l'affaire fut fixée au 10 mai 2001, date à laquelle elle fut ajournée en raison de la grève nationale des avocats.
7. Entre-temps, le 8 décembre 2000, K.T. décéda et l'affaire fut poursuivie par S.T., son ayant droit.
8. Le 14 mai 2001, S.T. sollicita la fixation d'une nouvelle date d'audience. Celle-ci fut fixée au 31 octobre 2002, date à laquelle elle fut ajournée ex officio.
9. Le 4 novembre 2002, S.T. sollicita la fixation d'une nouvelle date d'audience et celle-ci fut fixée au 10 juin 2004. A cette date, l'audience fut ajournée en raison des élections du Parlement européen.
10. Le 15 juillet 2004, S.T. sollicita la fixation d'une nouvelle date d'audience. Celle-ci fut fixée au 9 juin 2005, date à laquelle elle fut ajournée à la demande des parties.
11. Une nouvelle date d'audience fut fixée au 31 janvier 2008, date à laquelle un nouvel ajournement eut lieu en raison du deuil national pour les obsèques de l'archevêque de Grèce.
12. Il ressort du dossier que la procédure est toujours pendante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
13. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisent ainsi :
Article 106
« Le tribunal agit uniquement à la demande d'une partie et décide sur la base des allégations soulevées par les parties (...) »
Article 108
« Les actes de procédure ont lieu à l'initiative et à la diligence des parties (...) »
Les articles susmentionnés consacrent respectivement les principes de la disposition de l'instance (αρχή διαθέσεως) et de l'initiative des parties (αρχή πρωτοβουλίας των διαδίκων). Selon le principe de la disposition de l'instance, la protection judiciaire dans le cadre des litiges civils est accordée seulement si elle est demandée par les parties, dans la mesure où elle l'est et si elle continue à l'être. Par ailleurs, selon le principe de l'initiative des parties, le progrès d'une procédure civile dépend entièrement de la diligence des parties (P. Yessiou-Faltsi, Civil Procedure in Hellas, éd. Sakkoulas-Kluwer, p. 45 et suiv.).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
14. Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention. Ils allèguent aussi que les retards intervenus dans l'avancement de la procédure ont, par la force des choses, porté atteinte à leur droit d'accès à un tribunal, puisqu'à ce jour le tribunal de grande instance ne s'est pas encore prononcé. Les requérants invoquent l'article 6 § 1 de la Convention dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
15. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
16. Le Gouvernement procède à une analyse chronologique de la procédure et affirme que celle-ci a connu une durée raisonnable. A son avis, les retards observés au cours de la procédure litigieuse ne sauraient être imputés aux autorités nationales. En effet, le Gouvernement estime que les parties ont contribué à son allongement.
17. Les requérants affirment qu'aucun manque de diligence ne saurait leur être imputable.
a) Période à prendre en considération
18. La période à considérer a débuté le 19 avril 2000, lorsque K.T., père et grand-père de la première et du second requérants respectivement, a saisi le tribunal de grande instance d'Athènes. Il ressort du dossier que l'affaire se trouve toujours pendante devant ladite juridiction. Partant, elle totalise à ce jour plus de dix ans pour un degré de juridiction.
b) Caractère raisonnable de la durée de la procédure
19. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
20. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, la Cour admet que, si les autorités nationales ne sauraient être tenues pour responsables pour tout ajournement de la procédure en cause, il n'en demeure pas moins que l'affaire totalise déjà dix ans environ uniquement pour un degré de juridiction. De plus, il ne ressort pas du dossier que l'objet de l'affaire était compliqué. Partant, la Cour considère que les autorités nationales sont responsables de la durée globale de la procédure.
21. La Cour estime aussi nécessaire de relever que s'agissant des ajournements en raison des élections du Parlement européen et du deuil national à l'occasion des obsèques de l'archevêque de Grèce, il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV). En dernier lieu, la Cour observe que le fait que la présente affaire a trait à un litige de nature privée et que la procédure en cause est régie par le principe de l'initiative des parties ne saurait soustraire en soi l'Etat à l'obligation de veiller à ce qu'elle se conclue dans un délai qui ne soit pas excessif. En effet, la notion de « délai raisonnable » exige que les tribunaux suivent aussi le déroulement de la procédure et soient plus attentifs au laps de temps à observer entre les différents stades de la procédure (voir Vassiliadis c. Grèce, no 32086/06, § 26, 2 avril 2009). Au vu de ce qui précède et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 à cet égard.
22. Par ailleurs, la Cour relève que le grief tiré du droit d'accès à un tribunal se fonde sur les mêmes faits que ceux qu'elle vient d'examiner sous l'angle de la durée de la procédure en cause. Au vu du constat de violation figurant ci-dessus, la Cour ne considère pas qu'il soit nécessaire de se pencher également sur la question de savoir s'il y a eu violation du droit d'accès à un tribunal.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
23. Les requérants se plaignent qu'il n'existe en Grèce aucune juridiction à laquelle ils auraient pu s'adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Ils invoquent l'article 13 de la Convention aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
24. Le Gouvernement soutient que l'article 13 ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce car, selon lui, il n'y a pas eu dépassement du « délai raisonnable ». De toute façon, le Gouvernement soutient que les requérants auraient pu introduire contre l'Etat l'action prévue par l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil. Cet article établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat, qui résulte d'actes ou omissions illégaux.
A. Sur la recevabilité
25. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
26. La Cour rappelle que l'article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6 § 1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).
27. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de constater que l'ordre juridique hellénique n'offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d'une procédure (Fraggalexi c. Grèce, no 18830/03, 9 juin 2005, §§ 18-23). La Cour ne distingue en l'espèce aucune raison de s'écarter de cette jurisprudence, d'autant plus que le Gouvernement ne démontre pas que l'ordre juridique hellénique a, entre-temps, été doté d'une telle voie de recours (voir Sillaïdis c. Grèce, no 28743/04, § 23, 30 novembre 2006).
28. Dès lors, la Cour estime qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en raison de l'absence en droit interne d'un recours qui eût permis aux requérants d'obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
30. Les requérants réclament une somme de 20 000 euros (EUR) chacun pour le dommage moral subi en raison des violations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
31. Le Gouvernement considère la somme réclamée excessive. Il estime qu'une indemnité éventuelle pour dommage moral ne devrait pas dépasser 3 000 EUR pour chacun des requérants.
32. La Cour rappelle qu'elle a constaté une violation des articles 6 § 1 et 13. Statuant en équité, elle accorde à chacun des requérants 14 000 EUR au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B. Frais et dépens
33. Pour les frais et dépens en ce qui concerne la procédure devant la Cour, les requérants demandent chacun, 2 000 EUR, facture à l'appui.
34. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande des requérants. A titre alternatif, il affirme que 1 000 EUR octroyés à chacun des requérants serait un montant raisonnable.
35. La Cour rappelle que l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dès lors, en l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d'accorder conjointement aux requérants 1 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d'impôt sur cette somme.
C. Intérêts moratoires
36. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit d'accès à un tribunal ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 14 000 EUR (quatorze mille euros) pour le dommage moral et, conjointement aux requérants, 1 500 (mille cinq cents euros) pour les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 mai 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente
ARRÊT TSAGANOU ET GEORGIOU c. GRÈCE
ARRÊT TSAGANOU ET GEORGIOU c. GRÈCE